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"Exorciser les démons pour voir le jour"

 

accueil voix des jeunes 150Dans le cadre de la production d’articles pour le journal du Service de l’Éducation des adultes, de la formation professionnelle et du service aux entreprises de la Commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs, nous avons demandé aux personnes enseignant le français d’inviter les jeunes à témoigner de leur parcours de raccrochage. Deux de ceux-ci se sont montrés intéressés. Nous partageons avec vous leur parcours de vie - un premier texte cette semaine et un second la semaine prochaine -  et les remercions chaleureusement de la confiance qu’ils nous ont témoignée.
Ghyslaine Dionne, SARCA, CSFL 


Exorciser les démons pour voir le jour

par Maxime Caron Delamour. 

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 Il fut un temps où la vie était pour moi un leurre au goût amer… J’étais un enfant révolté. Je n’aimais personne. Ni les bambins, ni mes parents. J’en voulais à l’existence d’exister… Je m’émerveillais toutefois devant les splendeurs de la nature. L’automne a toujours été ma saison préférée, même s’il s’agit de celle de ma naissance. J’ai été malheureux toute mon enfance, mais ma grande sensibilité m’a amené, dès mon plus jeune âge, à écrire des poèmes d’amours déçues que je n’avais encore connues… La mort, le deuil, la souffrance étaient mes thèmes préférés. Si je n’avais pas eu l’écriture pour exorciser mes démons, je serais sûrement profondément malade.


Je savais que j’étais différent, et « les autres » n’ont pas tardé à s’en rendre compte à leur tour. Mon adolescence en fut une des plus douloureuse… J’ai vécu dans différentes familles d’accueil de mes dix à mes dix-sept ans… Je n’étais heureux nulle part, je détestais tout ce qui avait trait à la discipline. Les règles étaient toujours régies pour les autres, j’étais doté d’un je-m’en-foutisme sans pareil. Je fuyais dans l’écriture, et c’est là que la beauté s’est mise à surgir de mon être. J’ai commencé à porter des foulards de poète, je lisais Nelligan, Rimbaud, Daoust et Vanier. Je sentais que j’appartenais à ce groupe de fougueux contestataires, à un Univers complètement différent des autres. Dans mon monde j’étais bien…

Chaque matin, je me regardais dans le miroir de ma chambre en me demandais ce qui pouvais bien faire rire les élèves de l’école. J’avais probablement une drôle de tronche! Whatever, je les emmerdais tous. Je n’allais pas à mes cours. J’étais un bon élève malgré tout, parce que j’étais doté d’une intelligence vive. Je croyais que je n’avais pas besoin d’aller à l’école pour mener à bien ma vie. Je sais aujourd’hui que j’avais tort, mais je me faisais traiter de « fif », de « poète tapette », et j’ai même été victime de violence physique… Comment aimer l’école, dans de telles circonstances? Au moins, j’avais quelque chose à quoi m’accrocher… J’avais un rêve! Je voulais partir loin, loin, le plus loin possible. Je rêvais de m’installer à Paris (pour me fuir, peut-être), d’écrire des poèmes (pour me trouver, qui sait), de travailler en collaboration avec des artistes-peintres (pour commencer à aimer?)… Fumer la cigarette sur les terrasses des cafés en écrivant des recueils vertigineux, aériens, je voulais rafler tous les prix, de la reconnaissance. N’ayant pas les moyens de m’installer à Paris, j’ai fugué à Montréal.

J’ai rempli mon sac à dos de vêtements et de cahiers, puis je suis parti, seul, pour la grande aventure. Arrivé là-bas, je pouvais enfin respirer. Ce fut, en quelque sorte, ma renaissance spirituelle. J’ai coupé tout contact avec le peu d’amis que j’avais, et je me disais en mon for intérieur que je ne reviendrais jamais, au grand jamais, dans le Bas-du-Fleuve… J’ai travaillé fort pour survivre, payer le loyer trop cher et la nourriture. J’étais un grand garçon, et je n’avais besoin de personne… J’ai vécu en sauvage fugitif pendant cinq longues années… Au départ, tout allait bien, je travaillais honnêtement dans un restaurant à service rapide, mais j’étais pauvre comme Job, et le coût de la vie était faramineux, je ne savais plus comment joindre les deux bouts pour subsister. Lorsque j’eus dix-huit ans, je me suis mis à travailler dans un bar, à Montréal. Pas besoin de dire de quelle nature était ce travail. J’étais riche, mais sec à l’intérieur, comme une vieille branche morte. J’ai cessé d’écrire, je n’avais plus la force. Je ne vivais plus que pour l’alcool et les barbituriques. Un déclic s’est fait dans ma tête. C’était un jour très beau.

Je me rendais compte que je m’infligeais la souffrance. Je méritais davantage. J’ai donc décidé de me reprendre en mains et de devenir quelqu’un… J’étais désireux d’adopter un chien, de me remettre à l’écriture, et de composer des chansons. Ce mouvement m’a demandé beaucoup de courage, mais je ne regrette aucunement de l’avoir fait : je suis revenu vivre dans le Bas-du-Fleuve, où mon père m’a très généreusement ouvert les portes de sa demeure… Nous nous sommes pardonné les malentendus, j’ai alors pu vivre une année sabbatique des plus merveilleuses. J’ai fait du ménage dans ma tête et dans mon corps. J’étais en quête d’un esprit sain dans un corps sain… À l’ordre du jour, entraînement intensif, écriture de quatre nouveaux recueils de poésie, pratiquement un album de chansons tristes, amoureuses (car j’ai bel et bien fini par connaître ce qu’était un amour déçu), j’ai adopté un chien que j’aime beaucoup, énormément, passionnément, que j’aime comme un fils… Je crois d’ailleurs que je lui dois tout, car sans lui, le retour aux sources aurait été encore plus pénible, et je ne crois pas que j’aurais pu survivre à la froide solitude de la tempête d’hiver que je traversais. Il m’a inspiré et réchauffé le cœur.

Je veux offrir à mon fils, Andy, la plus belle vie possible, c’est pour cette raison que j’ai décidé de retourner aux études… Avoir un vrai métier, une vocation. Je vais suivre une formation avec Poliquin pour devenir un entraîneur privé de qualité. Je sais aujourd’hui que j’ai perdu mon temps à Montréal, mais là, c’est le temps de me reprendre… Il paraît que je suis encore jeune, même si je perds mes cheveux… J’étais un train qui allait beaucoup trop vite et j’ai manqué beaucoup de beaux paysages… Je ne serais pas la personne que je suis si je n’avais pas eu une passion à laquelle m’accrocher…

Il faut toujours se garder un but, un objectif, une espérance devant soi pour donner un sens à sa vie… Ce que je veux vraiment dire, avec tout cela, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour devenir quelqu’un. Nous ne sommes jamais trop faible ou pas assez intelligent. Ne jamais laisser personne vous dicter quoi penser et quelles couleurs arborer. Soyez maîtres de votre destin, et n’abandonnez surtout pas vos rêves. Je trouve encore la vie assez difficile, par moments, mais en m’offrant de meilleures conditions de vie, je sens que mon existence commence enfin à épouser les formes de la lumière. Désormais, je remercie mes parents de m’avoir fabriqué. La vie est une aventure qui vaut la peine quand on se donne une chance de sourire, d’aimer, de voir ce que veut dire « un jour très beau »…


Bonne route!


Maxime Caron Delamour
Centre d’éducation des adultes
Trois-Pistoles
19 septembre 2011