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La diversité des trajectoires et la réussite éducative des adultes en formation de base

Ce rapport de recherche par Paul Bélanger et al. présente les résultats d’une recherche qualitative de type exploratoire sur la réussite éducative. Le concept est revisité dans le but d’actualiser les pratiques de raccrochage scolaire auprès des adultes en prenant davantage en compte la dimension subjective dans l’expérience du projet éducatif. L’étude démontre que pour faciliter la réussite scolaire, il est nécessaire de mieux tenir compte des besoins et des spécificités conditionnelles du public des apprenants dans l’intervention.

 

La réussite éducative des adultes

Capsule de lecture

Référence bibliographique:

Bélanger, P., Carignan-Marcotte, P., Staiculescu, R. La diversité des trajectoires et la réussite éducative des adultes en formation de base. Centre interdisciplinaire de recherche/développement sur l’éducation permanente (CIRDEP) de l’Université du Québec à Montréal. Novembre 2007. pp. 1-155.

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Introduction

Ce document présente les résultats d’une recherche qualitative de type exploratoire sur la réussite éducative. Le concept est revisité dans le but d’actualiser les pratiques de raccrochage scolaire auprès des adultes en prenant davantage en compte la dimension subjective dans l’expérience du projet éducatif. L’étude démontre que pour faciliter la réussite scolaire, il est nécessaire de mieux tenir compte des besoins et des spécificités conditionnelles du public des apprenants dans l’intervention.

L’étude a été menée auprès de 36 apprenants et de 14 intervenants (2 ens. -français et math- et 3 responsables –dir., adj. et CO- par CEA) dans 3 CEA, en milieu rural, semi-urbain et urbain. Une entrevue semi-dirigée auprès des apprenants a été suivie un an plus tard d’un appel téléphonique pour vérifier l’atteinte de leurs objectifs de formation.

1) Les trajectoires de réussite

Afin de reconstruire la notion de réussite éducative, les auteurs procèdent à l’analyse de 36 parcours de réussite1 catégorisés en trois trajectoires.

Réussite complète : « lorsque les répondants ont progressé dans leur formation au point d’avoir atteint le but fixé soit dans leur formation de base ou même professionnelle » (Bélanger et al. 2007 : 30).

Réussite partielle : « lorsque les adultes ont progressé, mais sans avoir atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés en formation de base » (Bélanger et al. 2007 : 30).

Absence de réussite : « lorsque les adultes témoignent n’avoir fait aucun progrès, ou si peu, dans leur formation ». Ils en sont au même point une année après la première entrevue. La grande majorité de ces individus avaient quitté l’école au moment de la première entrevue et n’ont fait aucune tentative pour y retourner.

Quatre facteurs servent à mesurer et analyser le degré de réussite pour chacun des parcours : (1) les conditions d’expression de la demande, (2) la motivation à la réussite, (3) la qualité du processus de formation ainsi que (4) le milieu de vie. (voir tableau à la fin du texte). L’analyse de ces informations permet d’effectuer des comparaisons entre le sens que les individus donnent à leur propre parcours et les définitions institutionnelles de la réussite. La démarche permet aussi de connaître les types de freins à la réussite rencontrés par les jeunes adultes et d’envisager des pistes d’action de l’ordre du politique, de l’institutionnel et de la pratique pour améliorer la réussite éducative.

 

2) Contexte institutionnel de la réussite

Il semble que pour toutes les régions confondues, l’offre de service surdétermine la demande. Ainsi, il y aurait peu d’effort consacré à adapter les services aux besoins du public et à la nature de la demande. Par contre, cette préoccupation est plus présente en milieu rural. De plus, peu de ressources sont consacrées aux services d’accueil. Or, ces services s’avèrent essentiels pour déterminer un projet professionnel et éducatif adapté et motivant pour l’individu, et ce, surtout lorsque l’on constate que la majorité des adultes n’ont pas bénéficié de services de renseignements et d’orientation en amont de la demande de formation.

L’approche individualisée se base sur la capacité d’initiative des apprenants à solliciter de l’aide lorsque le besoin se fait sentir. Or, les témoignages démontrent que cette capacité et cette autonomie d’apprentissage ne sont pas également partagées par les participants. Cette approche isole donc de nombreux individus et n’instaure aucunement un climat d’aide mutuelle.

La flexibilité des programmes est aussi limitée. Certes, il est possible de passer des tests d’équivalence ou de choisir des cours optionnels. Ces mesures contribuent à accélérer le trajet éducatif. Mais les classes surpeuplées ne se prêtent pas à l’écoute et à la prise en compte des besoins individuels.

Selon les témoignages du personnel des CEA, il y absence d’approches pédagogiques particulières auprès des apprenants en difficulté. Les enseignants travaillent intuitivement en faisant appel à leurs expertises, leurs bagages et leurs réflexes. Les enseignants invoquent le travail d’équipe et la référence comme solutions aux problèmes d’apprentissage. Ils se disent incapables d’assumer eux-mêmes la responsabilité étant donné l’ampleur de la tâche dont ils sont responsables.
La bonne ambiance installée en classe par l’enseignant et les périodes de récupération sont des astuces utilisées par les enseignants en milieu urbain.

Ceux qui sont en milieux urbains tentent d’adapter la matière au style d’apprentissage des apprenants alors que les enseignants en milieu semi-rural affirment que de nombreux élèves ne savent pas développer le sens de l’effort et sont nombreux à en référer à des ressources externes. De plus, il n’y a pas de système de relance visant à faire le suivi des élèves ayant décroché. Les professionnels rappellent aussi qu’un abandon au sens où l’institution l’entend peut revêtir une autre signification pour les individus. Quoi qu’il en soit, les enseignants comptent sur les activités parascolaires, le suivi individuel, la révision des parcours de formation, le tutorat et la valorisation de la réussite comme pratiques visant à faciliter la réussite scolaire.

Conclusion sur le contexte institutionnel de la réussite
Tous les individus n’ont pas accès aux mêmes ressources dans l’expression de la demande. Les contraintes institutionnelles, les conditions socioéconomiques et les dispositions culturelles sont aussi des déterminants de la poursuite de parcours éducatif. Selon l’opinion des adultes et des intervenants, l’approche individualisée est à revoir étant donné qu’elle limite les possibilités pédagogiques et qu’elle ne convient pas à tous les apprenants.

3) Constats de l’étude et interprétation des résultats

Il semble qu’une grande partie des raccrocheurs vivent de forts sentiments d’insécurité face à leur projet éducatif. Le niveau de persévérance varie en fonction des difficultés personnelles à surmonter et du nombre d’abandons antérieurs. Le manque d’estime de soi est aussi un facteur nuisant à la poursuite du projet éducatif.

Les adultes qui ont atteint partiellement ou n’ont pas atteint leurs objectifs sont ceux ayant fait preuve de moins d’initiatives dans l’expression de la demande. Leurs projets éducatifs et professionnels sont moins définis que les individus ayant atteint leurs objectifs. La valeur associée à l’éducation est aussi relative en fonction des niveaux d’atteinte des objectifs. En effet, pour de nombreux jeunes n’ayant pas réussi ou ayant réussi partiellement, l’horizon d’ambitions est circonscrit à l’obtention du diplôme.

La possibilité de négocier son parcours n’est pas partagée par tous les individus. Ce sont les jeunes ayant partiellement réussi qui ont profité le plus de cette possibilité. Les autres se conforment au service ou sont contraints de se plier aux exigences des organismes parrains (CLE, RESO).

De nombreux facteurs sont identifiés comme nuisant au processus de formation : difficultés d’apprentissage majeures, insécurité, inadéquation de la demande et de l’offre de service, nécessité de travailler durant les études, obligations familiales. Au-delà de ces facteurs nuisibles, les adultes mentionnant avoir bénéficié de soutien et d’encadrement durant le processus de formation sont plus nombreux à avoir atteint leurs objectifs ou à avoir modifié ceux-ci de façon à les atteindre. L’approche individualisée de résolution de problème préconisée par l’organisme RESO est appréciée par les adultes parrainés. Les CLE, quant à eux, offrent un encadrement à des adultes dont les objectifs sont définis.

Selon un point de vue largement partagé par les répondants, l’apport premier de la formation aux adultes est la possibilité d’accéder à un métier et ainsi, améliorer ses conditions de vie. Les adultes n’ayant pas progressé dans leurs objectifs mentionnent, eux, que les apports du passage concernent davantage la redécouverte de l’estime de soi.

Ce qui différencie les adultes qui ont atteint partiellement leurs objectifs de ceux qui ne les ont pas atteints est principalement le soutien reçu en amont de la formation ou durant celle-ci. Ils vivent sensiblement les mêmes difficultés, mais certains individus ont eu accès à des ressources facilitant la mise en place de meilleures conditions d’apprentissage. Leurs espoirs de réussite sont donc plus importants et contribuent à stimuler la motivation et la persévérance dans la poursuite du projet éducatif. Enfin, les abandons sont souvent temporaires et planifiés.

4) Le changement des pratiques. Pistes d’action envisagées par les auteurs

À la lumière des informations précédentes, voici les pistes d’action envisagées par les auteurs afin d’améliorer la réussite scolaire des adultes :

  • Fournir plus de ressources aux services d’accueil afin de bien informer les apprenants sur les différentes possibilités de parcours, clarifier le projet professionnel et stimuler l’espoir et la motivation.
  • Bonifier l’aide financière aux individus désireux de retourner à l’école.
  • Fournir davantage de ressources aux services d’accompagnement et de soutien dans l’expression de la demande. Rendre plus flexible les critères d’accessibilité de ces programmes.
  • Permettre davantage la négociation du projet éducatif pour que celui-ci soit conforme aux besoins exprimés par les individus. Rendre plus flexible l’organisation du contenu, le choix des options de cours, le rythme d’apprentissage et la reconnaissance des équivalences pour les immigrants.
  • Organiser un meilleur système de relance étant donné que de nombreux cas de décrochages ne sont, en réalité, que des interruptions temporaires des études.
  • Offrir davantage aux apprenants la possibilité des tests d’équivalence afin d’accélérer le processus.
  • Réduire le nombre d’élèves par classe afin de donner la possibilité à l’enseignant de se consacrer davantage à l’écoute des besoins individuels, au suivi systématique des apprentissages et l’encadrement psychosocial.
  • Prendre en considération, au-delà des objectifs institutionnels, les notions de réalisation de soi et de réussite éducative. Favoriser le plaisir d’apprendre et cultiver l’autonomie des adultes en reconnaissant et valorisant les motivations personnelles de l’individu à effectuer un retour aux études; d’où la nécessité de favoriser l’appropriation du projet éducatif par l’individu en permettant la négociation de ses conditions.
  • Favoriser chez l’individu une réflexion visant à produire du sens quant à la poursuite du projet éducatif.
  • Favoriser l’empathie intellectuelle envers les apprenants sans baisser les critères de réussite ni engager une thérapie occupationnelle.
  • Instaurer des politiques de concertation avec les instances de développement régional, les maisons de la culture, les bibliothèques.
  • Démocratiser davantage Internet serait aussi une solution à envisager de même que faciliter la reconnaissance et l’implantation des CEA dans les milieux de vie.

 

Tableau synthèse