Page d'accueil
 

"Tomber est humain, se relever est divin"

accueil voix des jeunes 150Dans le cadre de la production d’articles pour le journal du Service de l’Éducation des adultes, de la formation professionnelle et du service aux entreprises de la Commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs, nous avons demandé aux personnes enseignant le français d’inviter les jeunes à témoigner de leur parcours de raccrochage. Deux de ceux-ci se sont montrés intéressés. Nous partageons avec vous leur parcours de vie et les remercions chaleureusement de la confiance qu’ils nous ont témoignée.

Nous vous présentons ici le deuxième de deux textes.
- Ghyslaine Dionne. Agente SARCA, Commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs


Tomber est humain, se relever est divin

voix_vickyPar Vicky, étudiante au Centre d'éducation des adultes de Trois-Pistoles

Dès mon enfance, je n’étais pas bien née. Selon certains, la gestation de la mère ainsi que l’attitude des parents face à la venue de l’enfant à naître, a  des répercussions directes sur l’état émotionnel de celui-ci. Alors j’imagine qu’à ma naissance, déjà, le ciel m’avait dessiné un bien sombre scénario. Violentée, abusée, méprisée…j’ai souvent escorté le silence de mes sanglots et de mes peurs, en demandant à la vie une raison pour laquelle une gamine châtaine aux cheveux bouclés et au visage angélique devait tant souffrir afin de simplement rester vivante.

Néanmoins, le pire souci ne fut pas les ecchymoses  et les meurtrissures infligées à mon petit corps, mais celui des traumatismes psychologiques. Ces traumatismes que j’aurai traînés avec moi jusqu’à l’âge adulte se seront transformés en trouble de personnalité limite. Mon déficit d’amour changerait à jamais ma perception de la réalité. Plus de demi-mesure. En fait, ces blessures-étiquettes de victime que je m’infligeais à moi-même m’ont suivie jusqu’à ce que je prenne la courageuse décision de partir à la conquête de mon affirmation de soi. Qui était réellement Vicky?

J’aurai longtemps cherché l’amour et l’affection dans l’abus, la dérision ainsi que le vice. N’ayant connu que ça, comment pouvais-je espérer mieux?  Bien évidemment, ma première expérience charnelle fut avec un homme plus vieux que moi, image même de sécurité. Il n’en était malheureusement pas à sa première proie et m’a sexuellement infligé de mauvais traitements. Plus tard, cependant je comprendrai que cela est arrivé parce que je lui en ai laissé l’opportunité, les victimes traînant  leur sentence de martyrs tels des écriteaux imaginaires s’illuminant à la vue de prédateurs.

Souvent, la vie me fit tomber, pas suffisamment pour définitivement m’abattre, mais trop pour ne pas me remémorer, ma vie durant, la douleur vive et persistante qui accompagne la descente.

Puis, je fis une entrée précipitée dans la vie d’adulte. Du haut de mes dix-sept ans, je portais un gros bedon de trente-huit semaines de grossesse non-désirée. Un corps de jeune femme déjà cicatrisée par les vergetures avant même d’avoir terminé sa croissance! Une incompréhension totale envers la vie, la haine au cœur, le corps et l’âme ravagés…Un père abusif, colérique et brutal. Bref, le bourreau de mes malheurs. Une mère effacée, qui au fil des tentatives de suicide et de gestes déplorables, s’était éteinte à petit feu, morte en-dedans. Elle était toujours vivante, certes. Mais  ma vraie maman, elle, était morte depuis déjà longtemps.

Trop effrayée d’affronter la vie par moi-même, je me bornai à me livrer à un soi-disant destin, tendant les rênes de ma propre existence à de futiles prétextes qu’inventent les naïfs pour survivre.

Vingt-trois ans ainsi que trois enfants plus tard, je dépendais de la drogue comme  un bambin de sa mère…Je m’accrochai à l’illusion éphémère de souffrances disparues, de bonheurs artificiels et passagers. Je blâmai mon passé misérable pour ma consommation de drogues fortes, mes choix impulsifs, insensés ainsi que mon instabilité chronique. Je portai le masque qu’arborent  les victimes afin de se faire plaindre de leur sort. Mais je voulais me faire plaindre de quoi??? De ne pas avoir su apprendre de mes chutes et de mes erreurs? De ne pas avoir su faire mieux que mes propres parents n’avaient su le faire? Mais non, j’avais besoin de ça pour survivre. Ma vie était devenue un semblant d’existence. J’avançais vers un vide certain.

Comme immanquablement, un malheur se devait de ne pas se pointer en solitaire, j’aidai en plus, la noirceur à s’emparer de moi en lui donnant, jour après jour, un prétexte à m’emporter. Je me rabaissai même au point de m’automutiler afin d’extérioriser les démons en moi. Je n’avais pas le courage de m’en sortir, mais j’avais pourtant la lâcheté de nourrir mes propres démons…Quel sarcasme!!!

Je me surpris, moi la supposée survivante, à méprendre la vie pour un banal jeu vidéo; appuyer sur «game over» afin de recommencer à neuf, une meilleure partie. J’ai voulu mourir…J’avais les entrailles en feu, le mal de vivre me rongeait de l’intérieur. J’étais devenue ma propre cage. L’air était devenu pour moi suffocant, la clarté du jour intolérable et les gens heureux un blasphème. Mon âme m’avait trahie, elle avait hissé le drapeau blanc. Je voulais jeter les armes, déclarer forfait.  Je m’avouais vaincue…Mais pourtant je survécus, encore, hantée par des démons que j’avais moi-même conçus.

Après la nuit, qui dura selon moi, une éternité, le jour se pointa enfin. Je n’y croyais pourtant plus. Ce jour là, je vis le soleil éclairer mon visage. Ce jour-là, je compris que ma grand-mère avait raison: le soleil se lève pour tout le monde. Ce jour-là, je décidai que puisque la mort n’avait pas voulu de moi, elle jugeait forcément que je devais VIVRE. Je ne pouvais quand même pas duper la grande Faucheuse. Je n’avais pas à mourir. Pas aujourd’hui. Pas comme ça.

Ce jour où la lumière me permit de voir enfin le chemin sur lequel je me trouve présentement, c’est le jour où je n’excusai plus ce que j’étais devenue par mes malheurs traversés. C’est le jour aussi, où je décidai de voir les chemins qui se traçaient  devant moi. Je fis le choix de devenir celle que j’espérais être. Je ne me suis finalement pas perdue dans mon passé, je me suis nourrie de l’énergie que je gaspillais à me débattre dans mes déboires, afin de me RELEVER.

Je ne me suis pas contentée de m’ennuyer d’un temps que je n’avais pas connu, mais de créer ce que je voulais connaître. Je suis maître de mon histoire. J’en suis la seule auteure. Le destin n’a absolument rien à y voir. Je forge mon propre chemin, je deviens ce à quoi j’aspire, avec toute l’ardeur et la détermination de celui ou celle qui aura su se relever avec fierté.

Bien sûr, le bonheur ne se crée pas seul. Certains auront un départ plus facile. Mais les gens comme moi, s’enrichissent des épreuves difficiles et ça fait de nous des battants. Le premier pas vers l’avant est certes très difficile à franchir, voire impossible pour certains. Cependant, il n’en reste pas moins le plus libérateur de tous. Car ce pas, qui a été le mien, deviendra la frontière entre mon passé et mon présent.  Ma nouvelle vie.

Vicky  
Centre d’éducation des adultes
Trois-Pistoles
01 novembre 2011